Le Courrier de la Montagne, le 4 Mars 1906

                                                                      

 

 

 

L'Inventaire à Doubs

 

                                                                                                                                           

Dès dix heures du matin, devant la foule nombreuse assemblée sur les marches de l'église, on range quelques quatre-vingts fantassins l'arme au bras. Un commissaire, un capitaine et M. Chevalier, agent des Domaines, se présentent devant M. l'abbé Henry, curé de Doubs. Il y avait au premier rang, mais pas très loin d'une bande d'apaches, celui qu'on nomme Mossieu Olympe Mourot, et un autre qu'on appelle le petit Gugu et qui, parait-il était venu pour photographier M. l'abbé Henry. Ce jeune premier distillateur, toujours fortement entouré, fréquente à cette saison, bien plus les inventaires que les alambics paternels.

M. le Curé lit une protestation faite en son nom, et c'est une occasion de plus d'entendre vertement flagellés les habitants des loges et ceux qui mettent la France dans la honte. Le conseil de fabrique lit la sienne, et un habitant de Doubs celle de la population. Autour de M. le Curé la population de Doubs presque entière, serrée, recueillie, ardente, écoute les protestations sans un cri, avec un impressionnant recueillement; on sent que toutes les âmes ont le même frémissement, la même volonté.

C'est alors qu'après une vague promenede au téléphone pour demander (!) des ordres à la préfecture, M. le commissaire fait les trois sommations. M. le curé refuse de livrer ses clefs. On fait marcher la Troupe. En ce moment, d'un seul mouvement mais sans un cri, sans un geste, opposant simplement le rempart vivant de leurs corps, les épaules collées les unes aux autres, tous les catholiques arrètent l'élan des soldats, d'un coup, comme aurait fait une muraille.

Et les chefs et le commissaire parlementent en vain, M. l'abbé Henry est inflexible. Une fois encore, on lance les troupes, et le même mouvement de défenseurs de l'église se produit, au milieu du même silence impressionnant et grandiose. Et cela aurait duré longtemps si M. l'abbé Henry, voyant qu'on allait employer la violence, peut-être les armes, n'avait ordonné à ses fidèles de laisser passer. Ils laissèrent passer, toujours sans un cri, sans un geste.

Les sapeurs attaquèrent une des portes de l'église, mais ils se heurtèrent à des blindages, ils mirent une heure pour pénétrer dans l'église. A 12 heures et demie, l'inventaire commençait. Nous ne trahirons pas les petits secrets de la défense et pourtant il y aurait à féliciter certans zèles et certains dévouements. Nous adressons donc, mais amples, mais nombreux, nos applaudissements, nos félicitations aux habitants de Doubs qui, dans leur silence grandiose, leur union étroite et leur obéissance à leur chef, surent affirmer leur protestation de la meilleure et de la plus solennelle façon. Nous adressons nos chaleureux compliments au digne pasteur qui montra comment on résiste à une violation de domicile sans cesser d'être digne, ferme et implaccable.

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