Le Journal de Pontarlier, le 4 Mars 1906
Inventaire
C'est hier vendredi, que devait avoir lieu l'inventaire de l'église de Doubs. Dès dix heures et demie, M. Chevalier, sous-inspecteur de l'enregistrement, et M. Ducassé, commissaire spécial à la gare, suivis d'un piquet d'infanterie de cinquante hommes environ, commandé par M. le Capitaine Bouvard, se présentaient devant l'orgueilleux bâtiment qu'une pieuse municipalité, il y a près de quarante ans , a fait construire à grands frais aux dépends des intérêts immédiats de la commune de tous les contribuables, pour la plus grande gloire de Dieu et de ses ministres sur la terre. MM. Chevalier et Ducassé pouvaient donc penser qu'aucune résistance ne serait faite à l'inventaire de biens appartenant aussi évidemment à la commune. Quelle n'était pas leur erreur et quelle stupéfaction put être la leur, lorsqu'ils se trouvèrent en présence d'une troupe d'énergumènes , à la tête desquels le curé qui lisait une virulente protestation, et déclarait ne pas vouloir livrer les clefs de son église. Suivait une seconde protestation du président du conseil de fabrique. M. Ducassé donna à M. le capitaine Bouvard une réquisition écrite ordonnant d'enfoncer les portes, et la troupe se mit en devoir d'attaquer le porche principal que maintenaient solidement de puissants madriers et des poutres de fer placés à l'intèrieur.
Tandis que les soldats travaillaient, le curé continuait à protester et semblairt exciter ses amis à la violence. Mais les troupes étaient assez fortes, et d'autre part, la plus grande partie des assistants avait une attitude si résolument pacifique que les protestataires se bornèrent à crier :"Vive l'Armée ! " ce qui ne les empêcha pas d'ailleurs , d'applaudir à la blessure qu'un petit soldat s'était faite à l'ouverture d'une brêche.
Vers midi et demi la porte extèrieure était enfin enfonçée, et bientôt les matériaux accumulés à l'intèrieur étaient évacués , après quoi M. Chevalier effectuait sans autre incident la mission dont il était chargé.
Les journaux cléricaux ne manqueront pas de remercier les protestataires de Doubs de leur manifestation spontanée qui, sans doute, fut provoquée par une foi profonde !
N'en croyez rien; jeudi soir, en effet, chaque paroissien avait reçu une invitation à la résistance, signée: "un groupe de catholiques" . On avait jugé prudent de réchauffer le zèle des fidèles. La majorité d'entre eux a montré qu'elle n'entendait pas jouer la comédie, même sous la haute direction du curé , et ne voulait pas s'opposer à la sauvegarde des droits de la commune. On ne peut que la féliciter.